MA PHILOSOPHIE DE A à B

J’achéterais n’importe quoi dans une pharmacie au milieu de la nuit. Je ferai laisser le magasin ouvert un peu plus tard pour moi, pour pouvoir finir, parce qu’ils savent que j’ai de l’argent –C’est ça, le prestige. Pas vrai ? L’étape suivante, c’est arriver à si bien connaître la boutique qu’ils me font crédit. Je leur explique que je déteste recevoir des factures par le courrier parce que ça me déprime. « Dites-moi ce que je vous dois tout de suite », je leur demande, « et je reviendrai vous payer la semaine prochaine quand j’aurai plus d’argent liquide. Donnez-moi la note, et quand je vous la rapporterai, vous pourrez écrire payé dessus. »

 

Quand on a remboursé quelqu’un, on ne le rencontre plus jamais. Mais avant, ils sont partout. Quand j’ai beaucoup d’argent, mes pourboires sont tout simplement ridicules. Si la course coûte un dollar trente, je dis gardez les deux dollars… Mais si je n’ai pas d’argent, je réclame les vingt cents de monnaie.

 

Un jour, j’ai donné cent dollars à un chauffeur de taxi. Dans le noir, j’ai cru que c’était un dollar. Le compteur marquait soixante cents (c’était avant la derniére augmentation des tarifs), et je lui ai dit de garder la monnaie, ça n’a pas cessé de me déprimer depuis.

 

Il m’arrive de prendre un taxi sans argent pour aller quelque part en chercher. A la banque, ou au bureau, ou chercher de l’argent qu’on m’a laissé chez un concierge. En partant ainsi sans argent en taxi, je suis obligé de faire tout un cinéma avec le chauffeur. Il a fermé cette vitre en plexiglas qui vous donne aussitôt l’impression d’être n criminel –l’impression que vous allez lui tirer dessus ou l’agresser. Alors on se trouve absolument obligé de convaincre le type et de s’en faire aimer, de lui expliquer qu’on va simplement chercher une enveloppe chez un concierge.

 

Je déclare : « Je vous laisserai mon sac à papier », mais ensuite je relève son numéro pour si jamais il fiche le camp, et puis je cours chercher mon enveloppe. Lors d’une certaine course que je fais souvent, je ramasse l’enveloppe et généralment je me précipite au bureau de tabac d’à côté pour le faire encaisser. S’ils ne peuvent pas l’encaisser, je vais chez Riker’s, la porte à côté. Ils ne peuvent jamais l’encaisser. Puis je vais chez le marchand de cravates – il peut toujours l’encaisser. Puis je remonte en taxi et j’annonce au chauffeur, « Ramenez-moi d’où je viens ».

 

Et voilà, ce petit voyage m’a coûté la moitié de ce que je suis venu chercher (avec le pourboire que j’avais promis au chauffeur). Ensuite, il faut que j’aille claquer de l’argent dans un magasin d’alimentation diététique. J’en gaspille pour un dentifrice organique rose qui me rappelle des souvenirs de dentifrice rose d’Elisabeth Arden. Je veux trouver quelque chose qui ait le goût du dentifrice Ipana d’autrefois, dans son tube jaune.

 

Je ne prends des taxis que parce que j’aime parler. S’ils ne mettent pas le compteur, je leur demande à mi-chemin : « Pourquoi ne branchez-vous pas le compteur ? Eh bien, c’est une petite course, alros j’avais pensé… Vous aviez pensé ! Si vous m’aviez dit. « Est ce que je peux laisser tomber le compteur ? » J’aurais dit bien sûr, je vous aurais donné le prix que ça coûte et un pourboire en plus. Et maintenant nous voilà ici, avec rien au compteur, légalement je ne vous dois rien. » Là, ils sont bien ibligés de dire, « Non… » Alors je lui jette ving-cinq cents, et je dis : « Vous voyez ? Il vaut mieux demander. Il n’y a pas moyen de coincer le système ».

 

On ne peut pas encore raconter aux informations le moyen de coincer le système, mais c’est justement ce que les gens veulent savoir.

 

C’est formidable d’acheter des amis. Je pense qu’il n’y a rien de mal à avoir de l’argent et à s’en servir pour attirer les gens. Regardez qui vous attirez : Tout le monde !  Je connais un type qui est très riche et sa paranoïa, à longueur de journée, c’est que les gens ne s’intéressent à lui que pour son argent. Mais il est toujours le premier à vous raconter qu’il vient d’aller à Washington dans son avion particulier, mais que pour Los Angeles il a pris un vol commercial.

 

Si vous avez l’air minable mais que vous avez quinze dollar en poche, vous pouvez quand même donner aux gens l’impression que vous avez de l’argent. Vous n’avez qu’à descendre chez le marchand de vins et acheter une bouteille de champagne. Vous pouvez ainsi impressionner toute une salle et avec un peu de chance vous ne les reverrez jamais, alors ils penseront toujours que vous avez de l’argent. Je ne sais pas être riche et faire semblant d’être pauvre. Je sais seulement être pavre et faire semblant d’être riche.

 

Je connais une femme qui téléphone chaque apres-midi à quelqu’un pour lui dire : Je vous payerai cent dollars pour me baiser » Fabuleux. Elle se les choisit tres séduisants, de bonne famille et tout, mais ils ont peut-être besoin de quelques dollars de plus pour changer les roues de leur Mercedes. Cette fille-mà n’a pas de diamants, ses vêtements ne coûtent pas grand-chose, et pourtant il y a de « l’arent » dans son nez, ses oreilles, son cerveau. Il n’y en a aussi dans ses pommettes, ça la structure. Un livreur d’épicerie pourrait venir, si vous lui demandiez : « Regardez-la, est-elle riche ou pauvre ? », il saurait. Parce qu’elle porte « l’argent » sur sa figure. Elle peut marcher dans la rue en fumant une cigarette, elle peut héler un taxi – elle le fait avec un tel raffinement que ça change tout.

 

J’ai horreur du dimanche : il n’y a rien d’ouvert, sauf les magasins de fleurs et les librairies.

L’argent, c’est de l’argent peu importe que je l’aie gagné difficilement ou facilement. Je le dépense de la même maniére. J’aime l’argent sur les murs. Supposons que vous soyez sur le point d’acheter un tableau de 200 000 dollars. A mon avis, vous feriez mieux de prendre cet argent, d’en faire une liasse, et de l’accrocher au mur. Quand on vous rendrait visite, la premiére chose qu’on verrait serait l’argent au mur.

 

A mon avis, il ne faut pas que tout le monde ait de l’argent. L’argent ne doit pas être pour tous – on ne saurait plus qui est important. Quelle monotonie. De qui parlerait-on ? De qui médirait-on ? Plus jamais cette jouissance quand quelqu’un vous demande : « Tu pourrais me prêter vingt-cinq dollars ? ».

 

Noël, c’est quand il faut aller chercher des billets neufs tout crissants à la banque pour les mettre dans des enveloppes achetées au tabac du coin, pour les étrennes. Quand il a reçu ses étrennes, le concierge part en congé de maladie ou change d’emploi, et le nouveau ne se laisse pas épater.

 

J’adore avoir le meilleur fauteuil d’orchestre pour un spectacle de Broadway, partir à la fin du premier acte et attraper la fin du spectacle d’à côté – là aussi, le meilleur fauteuil. Et ça me fait deux tickets. C’est du travail, car je « fais » les deux. Les carnets de chèquees ordinaires ne m’ont jamais intéressé – je n’ai jamais voulu que celui du comptoire parce qu’à mon avis, ça a plus de classe.

 

Alloné dans ma baignoire avec un oreiller sous la tête je me sens tres riche. L’oreiller que j’ai eu pour 3,95 dollars, en envoyant un couvercle de boîte. Peut-être est-ce une illusion. De grandeur. Mais quand on paie les notes de téléphone que je paie chaque mois, on sait qu’on a les moyens.

 

C’est amusant d’achetr plein de trucs pour pas grand chose. D’abord on achète un sac en plastique chez Lamston’s – pour trente cents, et puis n le remplit. On dépense quelque chose comme soixante dollards chez Lamston’s, on rentre chez soi, on étale tout sur le lit et on efface les prix avec du Comet, là où il y a écrit « $1.69 ». Puis dès l’instant où tout est rangé, on a envie de retourner acheter plein d’autres choses. On ca donc à Greenwich Vilage. Là, on passe fiérement devant un fleuriste pour lui faire croire qu’on va chez le fleuriste de luxe sur l’autre trottoir. Et puis on veut l’impressionner le fleuriste, alors on entre et on dit : « J’achéte ».

Et on rapporte tout ça chez soi et l’on replit sa chambre de fleurs. On se sent alors si riche qu’on a envie de voir à travers le palier que vous êtes riches. Mais pas trop, sinon on a peur d’être cambriolé.

 

Un jour où j’avais beaucoup d’argent, j’ai couru m’acheter ma premiére télévision en couleur. Le fourmillement en noir et lanc me rendait fou. Je pensais que peut-être, en voyant les publicités en couleurs, elle me paraîtraient neuves et j’aurais encore plus de choses à aller acheter.

 

Korvettes. En espèces. Je voulais même la télécommande, mais c’était à un autre rayon. J’ai repris le chemin de la maison, mais je devenais paranoïaque. La boîte disait « Sony » et « Korvettes », et moi j’aurais voulu qu’elle dise « Lamston’s », parce que je l’emportais dans mon ascenseur, sur mon palier, dans mon appartement et avec cet emballage, avec tout ce polyester blanc qu’il faudrait jeter et qu’il montrait sa forme, je me suis dit : « JE ne vais pas la garder longtemps. »

 

« Je ne vais pas la garder longtemps » Je dois pouvoir déduire l’alcool de mes impôts, puisque je suis obligé d’être un peu ivre pour parler, et que parler est mon métier. J’ai un fantasme qui concerne l’argent : je marche dans la rue et j’entends quelqu’un dire – à voix basse - : « Voici l’homme le plus riche du monde ». Je ne regarde pas les dates, sur les pièces de monnaie. Elles pourraient dater de 1910 que je ne les garderais pas pour autant : je les dépenserais pour m’acheter une bouchée chocolat Clark.