Jean Calvin (34 ans) - 1543 TRAITÉ DES RELIQUES

(...] Or pour le présent, mon intention n'est pas de traiter quelle abomination c'est d'abuser des reliques, tant de Notre Seigneur Jésus que des saints, en telle sorte qu'on a fait jusqu'à cette heure et comme on fait dans la plupart de la Chrétienté. Car il faudrait un livre propre pour déduire de cette matière. Mais pour ce que c'est une chose notoire que la plupart des reliques qu'on montre partout sont fausses et ont été mises en avant par moqueurs, qui ont impudemment abusé le pauvre monde, je me suis avisé de dire quelque chose, afin de donner occasion à un chacun d'y penser et y prendre garde. Car quelquefois, nous approuvons une chose à l'étourdie, d'autant que notre esprit est préoccupé tellement que nous ne prenons le loisir d'examiner ce qui en est pour asseoir bon et droit jugement. Et ainsi nous faillons par faute d'avis. Mais quand on nous avertit, nous commençons à y penser; et sommes tout ébahis, comme nous avons été si faciles et légers à croire ce qui n'était nullement probable. Ainsi en est-il avenu en cet endroit. Car par faute d'avertissement, chacun étant préoccupé de ce qu'il ouït dire: - «Voilà le corps d'un tel saint, voilà ses souliers, voilà ses chausses», se laisse persuader qu'ainsi est. Mais quand j'aurai remontré évidemment la fraude qui s'y commet, quiconque aura un petit de prudence et raison ouvrira lors les yeux et se mettra à considérer ce que jamais ne lui était venu en pensée.

Combien que je ne puis pas faire en ce livret ce que je voudrais bien. Car il serait besoin d'avoir registres de toutes parts pour savoir quelles reliques on dit qu'il y a en chacun lieu, afin d'en faire comparaison. Et lors on connaîtrait que chacun Apôtre aurait plus de quatre corps; et chacun Saint pour le moins deux ou trois. Autant en serait-il de tout le reste. Bref quand on aurait amassé un tel monceau, il n'y aurait celui qui ne fût étonné, voyant la moquerie tant sotte et lourde, laquelle néanmoins a pu aveugler toute la terre. Je pensais que, puisqu'il n'y a si petite église cathédrale qui n'ait comme une fourmilière d'ossements et tels autres menus fatras, que serait-ce si, on assemblait toute la multitude de deux ou trois mille Evêchés, de vingt ou trente mille Abbayes, de plus de quarante mille Couvents, de tant d'églises parochialles et de chapelles? Mais encore le principal serait de les visiter, et non pas nommer seulement; car on ne les connaît point toutes à nommer. En cette ville, on avait, ce disait-on, le temps passé, un bras de saint Antoine; quand il était enchassé, on le baisait et adorait; quand on le mit en avant, on trouva que c'était le membre d'un cerf. Il y avait au grand autel de la cervelle de saint Pierre. Pendant qu'elle était enchassée, on n'en faisait nul doute; car ce eût été un blasphème de ne s'en fier au billet; mais quand on éplucha le nid et on y regarda de plus près, on trouva que c'était une pierre d'éponge. Je pourrais réciter beaucoup de semblables exemples, mais ceux-ci suffiront pour donner à entendre combien on découvrirait d'ordure, si on faisait une fois une bonne visitation universelle de toutes les reliques d'Europe. Voire avec prudence, pour savoir discerner. Car plusieurs, en regardant un reliquaire, ferment les yeux par superstition, afin, en voyant, de ne voir goutte; c'est-à-dire qu'ils n'osent pas jeter l'oeil à bon escient, pour considérer ce que c'est. [...].