Le Mandylion

De nombreux textes syriaques (*), rédigés entre le IV° et le IX° siècle, racontent qu'Hannan (ou Ananias, selon les versions) archiviste et peintre officiel du roi d'Edesse Abgar V Ukama, dit le Noir (9-46), peignit le portrait du Christ sur un linge de coton blanc dont ce dernier venait de se servir pour essuyer la sueur de Son visage. Ce linge (ou serviette) fut ensuite collé sur une planche, en conservant les franges qui en décoraient la bordure, et ramené au roi Abgar, malade (lépreux ?), à Edesse.

Transporté à Constantinople en même temps que le Linceul en 944, le Mandylion aurait disparu lors du Sac de cette ville par les Croisés en avril 1204. (*) : Doctrine d'Addaï (antérieure au VI° siècle), Actes de Thaddée (remaniés au VI° siècle), voir aussi le Pseudo-Constantin. Cet épisode est également conté dans "Histoire de l'Image d'Edesse", écrite vers l'an 945 à la cour de Constantin VII Porphyrogénète, document qui prend appui sur des textes cités plus anciens

Spas Nereditsa (X° siècle) Copie du Mandylion, sur une fresque à présent détruite

Du VI° au XIII° siècle, le Mandylion fut utilisé comme modèle pour reproduire le visage du Christ sur les icônes. Le Linceul aujourd'hui conservé à Turin, à l'époque plié en huit (il ne laissait apparaître que le visage), servit également de référence aux peintres. Il est parfois difficile d'attribuer les icônes à l'une ou l'autre de ces sources ... si tant est qu'elles ne fassent pas qu'un, les documents historiques existant à ce sujet laissant toujours place au doute. On s'accorde à attribuer aux reproductions du Mandylion les icônes qui ne montrent que le visage du Christ, au centre d'un cercle.

Le portrait original était en effet comme imprimé sur un linge tendu à l'intérieur d'un cadre dont la surface était constituée d'un treillis d'or formant des losanges avec un fleuron au centre de chacun d'eux. Un cercle ménagé au milieu du treillis entourait le visage. Ce cadre était visiblement plus large que haut, ce qui pourrait s'expliquer si l'on admet l'hypothèse que cette largeur correspond à celle du Linceul, et que la hauteur résulte du pliage du linge derrière la façade d'or.

Selon le récit des évangiles, Jésus de Nazareth est mort à Jérusalem, crucifié après flagellation au début du premier siècle, un vendredi, la veille du 14 nisàn (Pâques dans le calendrier juif). La Pâques tombait cette année-là le jour de shabbat: on pense donc selon nos calculs au vendredi 7 avril de l'an 30. Le corps enveloppé d'un linceul, fut déposé dans un sépulcre neuf, appartenant à un juif riche nommé Joseph, originaire d'Arimathie. Jésus n'aurait pu se payer un tel linceul, qui devait être d'excellente qualité. Jésus reposa le shabbat dans le tombeau. Son cadavre portait les traces du supplice: les trous des clous aux mains et aux pieds, un couronnement d'épines, la flagellation, ainsi qu'une perforation de lance romaine jusqu'au coeur.

Le témoignage des disciples est unanime: dimanche, tôt le matin, il ressuscite. Les apôtres observent le linceul, resté en place (peut-être le sang et la sueur séchés le maintenaient-ils selon la forme du corps), le "suaire" et les bandelettes enroulées à part (le Suaire de Turin n'est pas en fait un suaire, mais un linceul: néanmoins, plié en quatre de façon à ne laisser voir que la face, il fut confondu avec un suaire, et il en garde le nom. Peut-être est-il le linceul du Christ). Les actes des apôtres attestent que Jésus est encore resté 40 jours sur terre pour disparaître ensuite. Il ne reviendra qu'à la fin du monde actuel.

Le linceul semble avoir été récupéré par les disciples de Jésus. Mais un linge mortuaire ayant servi était impur et devait être brûlé. Il le cachèrent dans un premier temps. La légende raconte que le roi Abgar V d'Edesse (ville ancienne située dans le sud de la Turquie actuelle) étant très malade, demanda à Jésus de le guérir. Il lui fallut attendre l'envoi du linceul de Jésus, ce qui fut fait, et ayant été guéri par contact, il se convertit en 35 de notre ère.

En 594, Evagre le Scolastique mentionne la présence à Edesse du "Mandylion", une image du Christ non faite de main d'homme ("archeiropoïète"). Les représentations du Christ ressemblent à l'image du Mandylion. L'iconographie du Christ change. Le Mandylion est pris pour le suaire de Jésus.

En 944, le Mandylion est transporté à Constantinople, où il est vénéré comme linceul de Jésus-Christ. Peut-être a-t-on déplié le linceul à cette époque, faisant ainsi apparaître l'entièreté du corps crucifié.

Vers 1150, on représente le linceul du Christ sur une miniature, dans le Codex de Pray, conservé à Budapest. On y distingue le Christ avec des mains sans pouce visible, croisées au niveau des poignets comme sur le Suaire de Turin. Les pieds ne sont pas visibles, comme sur le Suaire de Turin, face avant. Le linceul du Codex est plié à la manière juive. La partie supérieure montre des structures en Z comparables au tissage du sergé de lin de Turin. La partie inférieure représente une série de petites croix qui font penser aux traces de flagellations croisées sur le dos et les jambes de l'homme de Turin. Finalement, une série de trous en forme de "L" visible sur le Suaire de Turin, sont représentés sur les deux faces du linceul du Codex. (cfr. R. Van Haelst) Ces éléments sont tellement frappants qu'ils mettent en doute la datation officielle au C14 (qui donne une origine entre 1240 et 1340).

En 1204, le "Mandylion", alors conservé à Sainte Marie de Blachernes, disparaît lors du sac de Constantinople par les croisés, ainsi que l'affirme un chevalier picard ou wallon, chroniqueur de la 4e croisade, nommé Robert de Clary (document conservé à la bibliothèque royale de Copenhague).

Certains historiens pensent alors que le Mandylion a dû être pris par quelque croisé de famille noble ou récupéré par un ordre militaire (comme les templiers) d'Europe occidentale (France par exemple). Ils expliquent ainsi que ce Mandylion puisse être de fait le linceul de Lirey, devenu plus tard Suaire de Turin.