RETENIR LE SOUFFLE

 

Trouvant le temps long, elle se mit à moudre ce temps, à mâcher du temps, à le disséquer, à le ralentir et en l’observant, elle en vint à l’aimer, le chérir comme une personne.

A vrai dire, les personnes portent bien leur nom, personne c’est assez anonyme pour se fondre dans la masse.

 

Elle ouvrit ses grands yeux pour regarder par la fenêtre les dernières traces d’humanité, les derniers remugles que ses contemporains pouvaient encore instiller à cette époque déjà forte en décadence.

Mais son regard ne butait que sur le monde d’en haut, un peuple de nuage se fondant mouvant dans les méandres céruléens d’un ciel pas encore ravagé, juste secoué par quelques orages réguliers, mais c’est beau l’orage, ça fait du bruit, mais un bruit naturel, somme toute agréable à entendre.

 

Comme en réponse à cette pensée, le ciel s’empourpra, se laissa aller à des pré-noirceures qui invitaient déjà ces moments de pluie si riches en tendresses délicates. Le monde est sous eau, les regards se font flous, perçant à volonté le rideau mouillé, se délestant de tous les mots trop secs pour séjourner sous cette humidité effrénée…

 

Elle pense que ce qu’elle sait la salit puisse qu’elle ne pense pas comme la masse. La masse c’est lourd, c’est stupide, c’est bien pensant mais formaliste… On n’est pas rebelle, on est à l’écart, pourtant pour penser à s’écarter du centre il faut connaître le milieu… Ne rien connaître, avoir la force de ne plus mentir, de ne plus penser, de tout dire et de ne jamais s’excuser d’exister. Mes paroles coulent dans ce déluge dantesque, je péris dedans, rattrape quelques sens abusés, me délecte d’une passion bien apprivoisée, je clame mon innocence d’âme, je suis la paria native, l’enlisée ardente, la paralysée de ce monde mobile, tout s’écroule en moi, Babel même pas assez jolie pour faire bander les mecs, dans mon cas on s’exécute, c’est pas permit, je suis la risée de mon ombre, elle qui s’étire dans tous les sens, conciliant les autres ombres de son acabit, ourdissant une cabale visant ma chute… Comment se détacher de ce qui me colle à la peau ? Un bon alcool et puis basta !

Regarder la vie du bon côté, pendu par le cou, dormant au plafond, le sommeil du juste, du frais suicidé qui nargue le monde d’en haut…

 

« Ne te tue pas, ne te tue pas par pitié…

   Tu vas encore te rater… »

 

C’est vrai, je ne ferais même pas un beau cadavre, tout juste à satisfaire les mouches et une rubrique de routine des chiennes écrasées ou pendu dans mon cas.

 

Le corps c’est comme un tube de dentifrice, plus on l’utilise plus il se ratatine. J’aime encore mes dents, elles savent mordre, faire mal à l’autre, mais l’autre c’est parfois moi alors je souffre et me blesse.

 

J’ai une demi-douzaine de morsures sur tout le corps, une vrai chasse au trésor de la cicatrice quotidienne, un genre de collecte du mal sur ma peau imprimée. La peau est la carapace, la litigieuse souffre-douleur d’un esprit dérangé… Mais dérangé par quoi ?

 

L’amour est un traquenard pour les gens sans tête, une chose soigneusement sublime, colportée de villes en villes dans l’espoir de se reproduire. On reproduit des tendresses, des affections, des baisers toujours les mêmes, répugnants à faire peur, puis ces encombrements au portillon, ces mouvances obséquieuses pour rentrer alors que je ne mouille même pas. Vivement dimanche, il va pleuvoir.

 

J’aimerais retourner dans ces au-delà noir, ces mondes des mots qui claquent, des voix puissantes, des sons lanternes qui dirigent les âmes et les regards, je veux tout et tout de suite, je regarde les instincts opaques et retrace l’existence sacrée.

Je vis un passé émasculé de ses principes, un rêve sans grappe, sans ivresse, comment redescendre là où je me suis laissée, saine et vierge.

 

Retenir la corde, jusqu’à la prochaine fois.

Répandre ses instincts, retenir son souffle jusqu’à la suffocation, ne plus regarder les autres, ils n’ont pas besoin de cela, on n’a pas fait les miroirs pour les chiens.

Retenir la joie humaine, se brûler les ailes sous un soleil flavescent, anoblir la tâche qui nous échoit…

 

Amollir la course, restons sur la route, ne dépassons pas s’il vous plait, il faut rester prudent et confiant. Je ne reste pas dans la course, je me délivre. Il faut en arriver là, partir quand il en est encore temps, ne pas laisser les passions s’attacher à un corps, brasser du détail et de la circonstance.

 

Je n’aime pas mourir alors je vis, mais mal.

 

Atteindre les nuits, parcourire les flux, les reflux, l’émancipation des sens avertis, convertis. Je ne suis qu’un visage meurtris se balançant au-dessus d’une vaste hostilité.

Comment atteindre les derniers élans, les ultimes célébrations, retrouver l’aube sensible, utiliser sa surface lumineuse, faussement lumineuse.

 

Mon corps suit, je suis aux commandes.

 

L’instant se propage dans mes veines tendues, le regard glisse, tombe, se fissure, se casse. Retrouve une dérive, flotte un peu dans les airs, retombe à nouveau, ne se rattrape pas, tombe et attérit avec fracas.

 

Corpuscule étrange, tout m’habite.

L’intélligence du doute me recherche, s'ingénie à me trouver et me laisser tomber à plat. Les éteincelles arrivent, j’exulte !

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Exfiltrer mes doutes secrets vers un cœur qui n’a plus rien à dire, plus rien à ressentir, un cœur qui bat par habitude, une mauvaise habitude, en somme, un cœur qui n’en a plus rien à battre…

 

Nuit, songe et malheurs.

 

Je fais des rêves marins qui me mènent en bateau, ce genre de songes qui laissent un goût salé, des rêves salés et grandiloquents, comme une danse sacrée qui se finit en orgie, une bataille de sexes forts, roides et concrets. Tout sauf conciliants. Je regarde car j’ai encore mes yeux pour voir, profitons-en, je profite !

 

 Devenir un indice précieux pour le cœur, retentir comme les canons qui tonnent, je voudrais l’aimer et lui dire tous ces songes qui martèlent sous moi, dans mon ventre.

Trouver la fébrilité dans ses bras, le garder près de moi, sentir son souffle me réchauffer, m’envahir, accorder nos extases, je ferais semblant mais ça peut venir, on ne sait jamais.

Les corps se constellent alors de gouttelettes comparables à des étoiles hérissées mais un millier de fois plus froides, plus humides, plus sensuelles mais aussi organiques et primaires. Des étoiles coupantes, tranchantes, couteaux aiguisés, dressés à tuer, tuer le temps qui caresse ma chair de métal.

 

Elle était prudente, elle regrettait presque de n’exister qu’à moitié, répandue dans un flot continu de régressions animées. Elle interroge une forme de folie puis se tait, elle est rigolote quand elle est comme cela, répartissant ses envies par strates indélébiles, débiles, à la folie puis pas du tout. Tu ne pourras jamais exister totalement sans une emprise profonde de la réalité, je découvre tes doutes et me répand en toi comme le ferai les rêves qui te guident.

 

Elle se garde de garder le souvenir qui fait d’elle un regret
Je dépense trop de raison à te ressentir, il faudra cesser tout cela et reconvertir nos envies en rêves verts, je suis tendu, revenu de tout, voyage sensoriel plus que sensuel. On y arrivera.

 

Entrevoir le temps des souvenirs, ressentir les choses, les vivre parfois, n’être que le val des sensations innées, devenir ce que l’on possède. Enfin s’élever au rang d’objet !

 

Garder la fin pour une autre fois, les conclusions et moi ça fait deux, pourtant un tel désir d’en finir…