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Un homme se noie par Pascale Frey Mai 1999 Lire.fr

Glamour attitude Jay McInerney traduit de l'anglais par Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet 220 p., L'Olivier, 120 F

Après une unique escapade dans le sud des Etats-Unis (Le dernier des Savage paru il y a deux ans) qui n'avait pas plu à ses fans, Jay McInerney renoue avec ses premières amours, New York, et ses contemporains qui avaient Trente ans et des poussières il n'y a pas si longtemps. Composé de très courts chapitres, traduisant ainsi l'existence plutôt superficielle et hachée de son couple de héros, Glamour Attitude se penche sur un microcosme tellement micro que l'on se demande comment l'auteur réussit à nous retenir pendant plus de deux cents pages. Et pourtant... On se pique immédiatement au jeu et on suit avec intérêt et amusement les traces de Connor McKnight, devenu journaliste mondain sur un malentendu. Il vit avec Philomena, une superbe plante, mannequin pour des publicités. Mais la façade que Connor tente de maintenir tant bien que mal se lézarde lorsque Philomena le quitte du jour au lendemain, parce qu'il n'a pas su ou pas pu s'engager au moment où la jeune femme le lui demandait. Et dans ce milieu, les patrons ayant assez peu d'indulgence pour les peines de cœur, on est fichu si l'on ne réussit pas à sauver les apparences. C'est ce qui menace Connor qui boit trop, ne dort plus et envoie tout le monde promener. Chronique d'un monde en perdition, ce Glamour Attitude devrait réjouir les lecteurs qui avaient aimé Bright Lights, Big City ou Trente ans et des poussières, puisque Jay McInerney joue ici dans le même registre en se penchant sur le mal-être d'une génération trop gâtée.

 

New York, chic et toc L'Américain Jay McInerney plonge dans l'univers dérisoire de la mode new-yorkaise. Drôle et pathétique

Quelle est l'étymologie exacte du mot « snob » ? En anglais, il désigne littéralement un cordonnier. Et le Robert nous affirme qu'un snob, dans l'argot de Cambridge, est par extension « celui qui n'appartient pas à l'université », une personne vulgaire. D'autres voient dans snob la contraction de l'expression sine nobilitate, sans noblesse, ce qui est plus élégant. Mais qu'ils soient à l'origine ressemeleurs ou simples roturiers, peu importe, les snobs sont toujours très amusants. Au même titre que les écrivains qui font des snobs les héros de leurs comédies humaines. Oh ! bien sûr, les grutiers ou les caissières de supermarché ne sont pas sans mérite. Mais, avec les snobs, le roman devient un théâtre irrésistible où les personnages jouent ce qu'ils ne sont pas, maquillent leurs sentiments, poignardent avec le sourire, s'amusent, souffrent et mentent comme des arracheurs de dents.

Faut-il être soi-même un peu snob pour éprouver tant de délectation à dépeindre, décrire ou décrier (c'est la même chose) leurs comportements ? Oui, le snobisme doit être contagieux. Mais il nous est bien égal de savoir si Jay McInerney s'est laissé vraiment contaminer par ces êtres qui le fascinent et qu'il a forcément approchés de très près, tous ces pantins qui frôlent le pouvoir, aspirent à la célébrité, ont besoin d'argent et affichent leurs liaisons sexuelles comme une forme de reconnaissance sociale. De toute façon, cette faune nous met en joie dans sa dernière comédie new-yorkaise où tournoient des journalistes people de magazines féminins, des top models qui rêvent de devenir actrices, des putes de haut vol qui rêvent de devenir top models et des cabotins drogués à mort qui se divisent en deux catégories : les solipsistes qui ne parlent que d'eux-mêmes et les séducteurs qui semblent ne pas croire à leur propre existence et en mendient la confirmation auprès de leurs admirateurs. Plus précisément, Jay McInerney ou plutôt son double, Connor McKnight, porte un regard quasi ethnologique sur ce petit monde, et oscille entre complicité et persiflage. Comme l'auteur, il a vécu deux ans à Tokyo. Mais lui, il y a connu la somptueuse Philomena (1,78 mètre, taille 38, mensurations 90-60-90) qui l'accompagne à New York, où sa carrière de cover-girl ne va pas tarder à prendre son essor. Hélas ! Manhattan « produit sur la monogamie le même effet que la télécommande sur la continuité narrative ». Autrement dit, la somptueuse Philomena fait sa valise tandis que la rédactrice en chef de son magazine s'apprête à le virer et que son meilleur copain, l'écrivain misanthrope Jeremy, n'en finit pas de pleurer son chien abandonné.

Manque-t-il de conviction, Connor, pour réussir dans ce monde de cordonniers ressemeleurs qui n'ont jamais été à Cambridge, en bref de snobs ? A dénoncer les tics de l'époque, le toc, les trucs et l'éthique de cette microsociété, on finit comme lui par être un loser. Mais lui, Jay McInerney, arrière-petit-fils spirituel de Fitzgerald, fils de Truman Capote, cousin irlandais de Woody Allen, mais au rire plus féroce que pleurnichard, est un vainqueur. Avec ses mini-chapitres très branchés, son acuité désopilante et ses métaphores irrésistibles comme des faux cils sur les paupières de ses héros aux visages liftés et aux ambitions stéréotypées. « Glamour Attitude », par Jay McInerney, traduit de l'anglais par Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet, L'Olivier, 274 p., 120 F. FRÉDÉRIC VITOUX Nouvel Observateur - N°1797

 

L'apparat chic

Entretien avec Jay McInerney Trente ans et des poussières ou Journal d'un oiseau de nuit sont désormais des classiques et pourtant, leur auteur n'est pas encore à la place qu'il mérite : celui d'un vrai petit maître de la littérature "générationnelle". Le problème (et donc l'avantage) avec Jay McInerney, c'est qu'on trouve dans tous ses romans ce qu'on est venu chercher : la prose d'un milieu ché-bran et une certaine vision de New York et de l'american way of life. Glamour attitude (L'Olivier), son dernier opus, n'explore plus les années 80, mais notre époque à travers le portrait de Connor McKnight, journaliste people d'un magazine "mode". Arriviste 90's maqué à une top, ce personnage symptomatique sera l'électron qui permettra au brillant écrivain d'explorer une faune dont la vie se résume à l'artifice.

Entretien.

Jay, la mode, c'est un truc qui vous branche ? Oui, elle m'intéresse ou plus exactement, elle m'amuse. J'adore regarder les jolies femmes, et accessoirement leurs jolis vêtements.

Les journalistes "top tendance" de NY sont-ils tous comme Connor, le personnage principal de Glamour attitude ? Oui, j'en connais ! De plus en plus sont ou deviennent comme lui, style, ouais que pense Kevin Costner sur ceci ou cela, avec qui sort Brad Pitt, ouais, c'est sensass' !!! Bon , personnellement, si on me donnait l'occasion de rencontrer Gwyneth Paltrow, je ne cracherais pas dessus (rires) ! Il y une véritable religion de l'image aux States. On voit très souvent la photo des journalistes au-dessus de leur chronique, ce qui ne se fait pas encore trop en France ! Connor, c'est un type intelligent et en même temps tout à fait superficiel. Pourtant, ce n'est pas de ou par sa faute, il vit dans ce monde d'apparat qui déteint sur lui. Et si Connor n'agit pas comme ça, en ne se rendant pas aux défilés ou dans tous les night-clubs branchés, il a peur d'être exclu de cet univers qu'il affectionne. En fin de compte, c'est un monde que j'aime bien mais qui est, je l'avoue, tout à fait cruel.

C'est pour cette raison que Connor sort avec une top limite anorexo ? Au départ, il aime cette fille seulement pour son image et ce qu'elle représente en tant que mannequin. Et c'est lorsqu'elle le largue qu'il comprend, mais c'est trop tard, qu'elle l'aimait vraiment. Le pauvre...

Votre style lui-même joue de cette superficialité… Oui, j'ai utilisé beaucoup de procédés qui vont en ce sens : des mots en majuscules qui arrivent comme ça, des sous-titres, vous savez, comme les touches "Remote control" des magnétoscopes ! Une volonté de vernis, je crois !

On est obligé de vous comparer au grand Bret Easton Ellis (dont on attend avec impatience - sur un sujet voisin - "Glamorama" à la rentrée)… J'a-dore ce qu'écrit Bret ! Il a publié, un an après mon Bright light, big cities, Less than zero que la critique a salué comme un nouveau Bright light… (rires). On est devenus amis par la suite, mais son univers est beaucoup plus sombre que le mien, plus "sex, drugs and rock n' roll". Comme lui, j'ai essayé dès les années 80 de décrire une certaine frange des américains, bien des clichés à la Beverly Hills si vous voulez ! (Propos recueillis par Baptiste Liger) Jay McInerney : Glamour attitude L'Olivier, 220 p, 120 F

 

Jay McInermey "Glamour attitude" Editions de l’Olivier

Que faire de sa vie, quand on est intelligent et cultivé, que l’on travail comme rédacteur people d’une revue de mode qui chronique exclusivement ce monde fat pour lequel l’archétype de la réussite est le vedettariat des top modèles et celui des acteurs, et que bien entendu l’on exècre à l’extrême cela même qui fait la plus grande part de son existence ? Assurément on travaille sa droite et son cynisme, et l’on creuse bien profond la tranchée de son égotisme à grand coup de rasades d’alcools et de dope, pour oublier bien sur, oublier pourquoi sa copine top modèle, justement, s’en va avec un acteur, mais surtout pour oublier que c’est l’époque qui veut ça. Connor McKnight est un jeune homme moderne, c’est à dire qu’il est ce mâle trentenaire occidental des années 90 dont l’Américain middle class sert d’étalon à une grande partie du globe. Fidèle puisque pratiquant des "interludes dédiés à Onan" (p.61) en souvenir de sa compagne, communiquant par téléphone et aussi par Internet, il a voyagé et s’est donc cru confronté à d’autres civilisations, le japon notamment, bien que finalement demeure "l’impression d’avoir loupé quelque chose pendant que je devenais japonais" (p.35) car assurément "j’étais en quête de quelque chose (au japon).

Après tout c’était peut-être d’une nana originaire du sud-ouest américain" (p.72). Cette " nana " là, toute en jambes sur les couvertures papiers glacées des magazines, c’est Philomena, Phil, l’amour pas forcement exclusif dont l’absence soudaine et préméditée réveille la conscience de Connor. Car enfin, même si souvent l’épopée sensuelle de Connor et Philomena se conclue par un pathétique "fais vite, ordonne-t-elle, et ne me sue pas dessus" (p.19) aussitôt exécuté, c’est quand même qu’il l’aime ! Jusqu’à éprouver un réel vertige devant le gouffre provoqué en lui par son absence. De considérations douces amères sur le Golgotha du milieu branché new yorkais de la mode, en allusions à peine voilées sur la mesquinerie des milieux littéraires (cf. la très ironique citation d’une critique : "je ne peux qu’envisager avec effroi l’éventualité d’un hommage de Jay McInerney à Walt Whitman") McIrnerney décline à petites touches polyphoniques les travers d’une génération alliée dans la vacuité à son époque, quelque chose d’un peu écœurant et de grave comme l’absence de profondeur ou de culture, d’équilibre pour le moins. Sans toutefois faire de grands dégâts critiques qui modifieraient quoi que se fut à cet état de paraître.

Un milliardaire hippy

par Pascale Frey
Décembre 1997

  A vingt-sept ans, Jay McInerney publiait son premier roman, Bright Lights, Big City, et s'évadait des pages littéraires pour devenir un phénomène de société. Ce «blues» d'un garçon qui ne croit plus à grand-chose s'arracha à vingt mille exemplaires par semaine et devint la bible de toute une génération. C'était en 1984.

Quelques années plus tard, en 1993, Jay McInerney se retrouvait propulsé chef de file d'un courant littéraire, porte-drapeau des yuppies qui brûlent leur vie et leurs dollars: Trente ans et des poussières, un récit d'une remarquable acuité, confirmait sa gloire aux Etats-Unis et lui ouvrait les portes de l'Europe.

Aujourd'hui, il est las de jouer les symboles. C'est pour cela qu'il n'hésite pas à remettre son trophée en jeu en signant un nouveau livre, le cinquième, qui s'écarte de sa trajectoire romanesque. Il abandonne son cher New York pour le Sud des années 60, celui des conflits de races et de la guerre des classes.

C'est en effectuant des recherches sur l'assassinat de Martin Luther King, dans une bibliothèque du Tennessee, qu'il tombe sur une annonce de mariage signalant la première union entre une Noire et un Blanc. Il imagine alors Will Savage, un personnage truculent issu d'une riche famille du Sud, qui renie ses origines, épouse une chanteuse noire, devient un producteur de disques célèbre et passe une grande partie de ses journées à planer sous des cieux artificiels. L'histoire de ce milliardaire hippy est racontée par son meilleur ami et son plus grand admirateur, Patrick Keane, alors que tous deux atteignent péniblement leur demi-siècle.
Portrait superbe et émouvant d'un homme dont l'existence regorge de contradictions, Le dernier des Savage est aussi la description sans complaisance de ce Sud américain qui, un siècle après l'abolition de l'esclavage, se rejoue régulièrement la guerre de Sécession. Il nous plonge dans une époque charnière de l'histoire des Etats-Unis, celle où les manifestations contre l'engagement américain au Vietnam prolifèrent dans tout le pays.

Les agités de Wall Street
Comment deviner que ces jeunes qui défendent l'amour sous toutes ses formes deviendront quelques années plus tard les agités de Wall Street? Jay McInerney réussit une fois de plus à dépasser la simple destinée personnelle pour brosser le tableau d'une décennie. Dommage pourtant que le dernier chapitre cède à la mode avec une chute qui ressemble fort à une farce.

Publié l'an dernier aux Etats-Unis, ce livre a été diversement accueilli. Très bien par ceux qui jugeaient que Jay McInerney avait enfin atteint la maturité littéraire. Moins bien par d'autres, mécontents qu'il ait changé de cap. On l'a comparé à une multitude de romanciers, on a rapproché son héros, Patrick Keane, de Gatsby le Magnifique. On l'a mis à la tête d'un mouvement qui regrouperait Donna Tartt ou Bret Easton Ellis. Jay McInerney, lui, ne revendique rien de tout cela. Il veut juste être un écrivain et reconnu comme tel.

Signalons la publication en collection de poche de Bright Lights, Big City (L'Olivier) et de Toute ma vie (Rivages poche).

S U I T E