Articles sur Virgin suicides

Trop jeunes pour mourir ? (critique parue dans le Monde)

Le désespoir des adolescentes dans l'univers aseptisé d'une petite ville du Michigan fournit la trame de ce premier film, maîtrisé et juste, signé par une jeune femme au nom déjà célèbre QUINZAINE DES RÉALISATEURS. Film américain de Sofia Coppola. Avec Kathleen Turner, James Woods, Kirsten Dunst. (1 h 35.) Mis à jour le mercredi 26 mai 1999

« Docteur, vous n'avez jamais été une fille de treize ans. » C'est ce que répond la jeune Cecilia au médecin chargé de la soigner après une tentative de suicide. Celui-ci lui reprochait d'avoir commis un geste dont l'absurdité lui paraissait proportionnelle au manque d'expérience de la jeune fille, encore ignorante, selon lui, des cruautés du monde. C'est sur cette question, devenue une interrogation centrale, que se construit le très beau film de Sofia Coppola. Le suicide d'adolescentes qu'on croyait comblées, scandale incompréhensible, n'est pas traité ici comme un simple sujet de société. Il devient le mystère d'une œuvre qui pervertit subtilement les règles d'un genre hollywoodien a priori ingrat, le film de teenagers.

VIDE ONTOLOGIQUE Situé dans les années 70, dans une petite ville du Michigan, The Virgin Suicides décrit l'univers aseptisé des banlieues américaines, des villas petites-bourgeoises côte à côte, des relations de voisinage codifiées, des collèges et des premiers émois adolescents. Soit la matière d'une multitude de récits d'initiation réconfortants, dont la logique est ici inversée. Une voix off pas vraiment identifiée, celle d'un jeune garçon parmi ceux qui passeront dans le film, commente une histoire horrible tendue vers une catastrophe impensable. Alors que le recours à la voix off est, la plupart du temps, une solution de facilité pour scénaristes hollywoodiens paresseux, elle est ici indispensable, d'une justesse et d'une poésie troublantes. C'est de la mort programmée de cinq jeunes filles blondes et sages qu'il sera question, les sœurs Lisbon. Et lorsque la voix du narrateur énonce des phrases comme celle-ci : « Ce sera leur première et unique surboum », elle ouvre un gouffre noir sous les pieds du spectateur.

La nostalgie est authentique, dégagée de tout tic folklorique, et la reconstitution d'époque relève d'une stylisation discrète qui touche même les portraits des personnages adultes. James Woods et Kathleen Turner en parents rigoureux, Danny De Vito en psychiatre dépassé sont à la fois vrais et légèrement décalés. Le scénario articule avec subtilité situations drolatiques et tragédie. L'absence d'explication de celle-ci constitue le moteur du film. Car c'est autour du vide ontologique constitué par le suicide des sœurs que tourne The Virgin Suicides. Déception amoureuse, rigorisme familial doux, aucune hypothèse n'est suffisante en soi. Le recours aux années 70 comme toile de fond du récit renvoie sans doute au moment précis d'un déséquilibre. Un temps où l'ancien – refusant de disparaître – est menacé par le nouveau – représenté par les dérisoires sollicitations libertaires de l'ère psychédélique.

On rit souvent dans le film de Sofia Coppola, notamment de la façon dont les clichés du cinéma sont employés comme de délicates figures de rhétorique. Une conversation téléphonique au cours de laquelle les correspondants se font entendre les paroles des tubes à la mode souligne la volonté pour la cinéaste de pénétrer l'univers mental et imaginaire des personnages. Par sa douceur morbide et la rigueur classique et émouvante de son écriture, The Virgin Suicides s'impose comme une première œuvre maîtrisée et juste. De quoi mériter la Caméra d'or.

Fable vibrante des années 70 Lussier, Marc-André

Pourquoi les cinq sœurs Lisbon, des adolescentes apparemment sans histoires, ont-elles décidé de se donner la mort? Voilà la question que se pose tout le monde. En particulier les jeunes hommes du voisinage de cette banlieue proprette de Détroit qui, toujours maintenus à distance, ont tant été fascinés par elles. C'est d'ailleurs du point de vue de ces derniers que nous est livrée l'histoire de The Virgin Suicides. C'est dire que le mystère restera entier... Pour ce premier - et très prometteur - long métrage, Sofia Coppola nous offre un portrait doux-amer duquel l'humour, malgré les thèmes abordés, n'est jamais absent. Adaptant le roman de Jeffrey Eugenides, un ouvrage qui l'a marquée au point où elle affirme avoir tout de suite su comment en adapter le récit pour le grand écran, la réalisatrice, digne fille de Francis, nous entraîne dans un univers singulier et personnel, duquel émerge une profonde sensibilité. D'autant que la perspective des jeunes hommes qui, aujourd'hui devenus adultes, ne peuvent oublier leurs souvenirs de jeunesse (et les fantasmes qui s'y rattachent), a pris, au fil des ans, une résonance mythique. C'est qu'elles étaient bien mystérieuses les sœurs Lisbon. Élevées par des parents très stricts, ces dernières n'avaient en effet pas souvent l'occasion de rencontrer les copains de leur âge. La mère (Kathleen Turner dans un rôle tout à fait étonnant) est d'une rigidité maladive, tandis que le père mollasson (James Woods, tout aussi surprenant) a depuis longtemps capitulé. Si intimidé au milieu de toutes les femmes de la maisonnée qu'il n'ose pratiquement plus prendre la parole.

Une scène aussi drôle que pathétique nous le montre d'ailleurs en train d'essayer - maladroitement - d'établir un contact avec les jeunes amis de ses filles, trop content de pouvoir enfin échanger avec des gars... Lorsque la plus jeune de la famille, Cecilia (Hannah Hall) , tente de se suicider à l'âge de 13 ans, le psychiatre (Danny DeVito) recommande aux parents de laisser leurs filles prendre un peu d'air... Les permissions seront toutefois de courte durée. À la suite d'un drame, les sœurs Lisbon sont carrément séquestrées par leur mère, au point même de ne plus fréquenter l'école. Les garçons du voisinage, de plus en plus intrigués, tenteront de garder le contact avec elles, notamment en organisant un système de communication qui s'articule autour des succès populaires de l'époque. Tournant le dos à l'étude sociologique, Sofia Coppola nous offre plutôt une fable vibrante dans laquelle les choses sont plus ressenties qu'expliquées.

Le spectateur est ainsi tenu à distance, un peu comme le fut le narrateur de l'histoire, l'un des jeunes hommes qui, comme tous les autres, a eu le béguin pour l'une des sœurs Lisbon. La fascination qu'exerce les jeunes filles agit ainsi de la même façon sur le spectateur. La réalisatrice reconstitue aussi avec beaucoup de justesse l'atmosphère des années 70. Elle tire par surcroît le meilleur de ses jeunes interprètes, notamment Kirsten Dunst, formidable dans le rôle de celle dont l'histoire romantique avec le type le plus populaire de l'école (Josh Hartnett) provoquera bien des drames. Coppola aura aussi eu le flair de choisir les pièces musicales de l'époque (Heart, The Hollies, etc.), tout en faisant appel au groupe français Air afin d'élaborer un climat musical contemporain qui, toutefois, s'inspire du son des années 70. Vivement un prochain film.

THE VIRGIN SUICIDES. Écrit et réalisé par Sofia Coppola d'après le roman de Jeffrey Eugenides. Images: Edward Lachman. Montage: James Lyon, Melissa Kent. Direction artistique: Jasna Stefanovic. Musique: Air. Avec James Woods, Kathleen Turner, Kirsten Dunst, John Hartnett, Hannah Hall, Chelse Swain, Danny DeVito. 1 h 37.

The Virgin Suicides Sofia Coppola « Geste esthétique inespéré pour une génération entière d’éternels gosses, qui ont aujourd’hui entre 20 et 30 ans, The Virgin Suicides, premier film de l’icône pop Sofia Coppola (27 ans, fille de Francis Ford), est totalement réussi. » Les Inrockuptibles 21 mai 1999.

Tentative de «Suicide»

Epatant premier film de Sofia Coppola sur l'adolescence. 20/05/99. Par DIDIER PERON, envoyé spécial à Cannes

Des déesses ados venues porter la bonne parole en chemise de nuit transparente. Au bout de cinq minutes du film, on se pince les joues, et celles du voisin, pour vérifier si des reliquats de vodka-tonic mal cuvée de la veille ne sont pas en train de nous faire prendre pour de l'or en barre un tas de boue juvénile. Mais non, The Virgin Suicides, premier long métrage de Sofia Coppola, fille de Francis, coproducteur, est, disons-le tout net, carrément génial, une sorte de compromis entre l'Outsiders de papa et du Kids de Larry Clark, un film qu'auraient sûrement plébiscité Nabokov (Vladimir) et Lichtenstein (Roy); et quand bien même ne l'auraient-ils pas fait, ils auraient eu tort. Sorte d'émanation suave de la jet-set US et miracle d'intelligence cinématographique, The Virgin Suicides traite du seul sujet qui compte, l'adolescence, via le destin de cinq jeunes filles en fleur du Michigan, mortes empalée, pendue, droguée, asphyxiée, noyée, par amour, par bravade, par goût excessif du chic, parce que, comme on dit, «it sucks!» — «mortel!».

Innocence perverse. Adapté d'un roman de Jeffrey Eugenides que Thurston Moore, le leader de Sonic Youth, avait refilé à sa copine Sofia (voyez le niveau de branchement arty de l'affaire), The Virgin Suicides se situe dans les années 70 parmi la jeunesse dorée ou petite-bourgeoise d'une petite ville américaine blanche sans histoires. Les sœurs Lisbon sont les enfants blondes et ravissantes du prof de math du lycée (incroyable James Woods) et son épouse très à cheval sur les principes (Kathleen Turner, plus nocive encore que dans le Serial Mother de John Waters). Tous les garçons du coin fondent de désir pour ces déesses venues sur terre porter la bonne parole de l'innocence perverse en chemise de nuit transparente.

Premier accroc à cet american way of life idéal et popote, le suicide de Felicia, la cadette qui ne supporte plus rien ni personne, et surtout pas d'être une fille de 13 ans. Après un premier ratage dans la baignoire, on la retrouve en sortie de boum éventrée sur la grille du jardin. Là-dessus, les sœurs survivantes héritent d'un serrage de ceinture puritain, couvées à l'excès par les parents effondrés de douleur, alors que leur puissance d'attraction sur les teenagers alentour ne cesse d'augmenter, multipliée par la puissance tragique de la disparition de Cecilia. La passion qui va lier dans un goût de liqueur de pêche Lux Lisbon (Kirsten Durst) et le bourreau des cœurs Trip Fontaine (Josh Harnett), reine et roi d'une seule nuit au son du I'm Not in Love de 10 CC, précipitera tout le monde au bord du gouffre du fond duquel Cecilia les appelle.

Fi des difficultés. Raconté comme ça, The Virgin Suicides ressemble à un manifeste sinistre, une façon par exemple pour la cinéaste, qui n'a même pas 30 ans, de régler quelques comptes avec la famille, ou de solder sa propre adolescence en passant par les voies détournées de l'imagerie sixties-seventies. En fait, le film, quitte à surprendre, est vraiment une comédie, qui plus est follement fignolée par une cinéaste qui n'est pas styliste pour des nèfles. Elle sait ce que travailler dans le détail et la dentelle veut dire, elle connaît aussi, au millimètre près, cette distance qui sépare l'élégance et la vulgarité.

Ainsi la représentation des teenagers, de leur flirt sous l'œil mi-humide mi-désapprobateur des adultes, les scènes de bahut, de bal de fin d'année, la mise en scène des postures effondrées de la jeunesse devant un tourne-disques ou sur un banc, sont autant de difficultés que Sofia Coppola surmonte avec une grâce que l'on serait bien en peine d'expliquer.

Bien sûr, on sent derrière chaque plan et dans chaque dialogue grinçant cette supériorité d'une certaine frange de l'intelligentsia américaine gauchiste nantie, ultra-branchée, ayant tout compris des signes flashant de la contre-culture, les maniant avec la même altière désinvolture qu'un DJ mixant Stockhausen et un tube d'Aerosmith. Que le fétichisme sous-jacent d'une telle démarche ne produise jamais le moindre sentiment de kitsch, ce que pouvait laisser craindre la mention d'une BO signée du groupe français easy-listening Air (à tort, la musique aussi est bien), voilà qui n'en finit pas de nous épater. Une voix off masculine prend en charge la mélancolie du film et son discours sur ce qui, avec la jeunesse, se consume, et que les Lisbon sisters incarnaient dans leur perfection de Lolita démultipliée : «Ce qui importe, c'est que nous les garçons leur avons envoyé des signes d'amour et qu'elles ne nous ont pas répondu, préférant se retirer dans ce lieu où quelque chose manque et manquera à jamais.» Dément non?.

Le Site de TF1

Elles sont belles, elles sont blondes, elles sont jeunes, elles ont tout l'avenir devant elle, elles sont mortes… Elles, ce sont les cinq sœurs Lisbon, objets de convoitise de tous les garçons entre 12 et 18 ans d'une petite ville du Michigan. Malgré toutes leurs qualités physiques et sous l'impulsion d'une mère puritaine et d'un père prof un poil dérangé, elles vont petit à petit sombrer sous les yeux médusés d'une bande de copains impuissants face à cette descente inéluctable. Oui, "Virgin suicides" est un film sombre, glauque, pessimiste. Mais au-delà de cette noirceur, c'est à une allégorie du passage de l'adolescence à l'âge adulte que nous invite Sofia Coppola pour son premier long métrage. L'histoire racontée comme cela a de quoi effrayer beaucoup de monde mais c'est sans compter une photographie limite fantasmatique, la réalisatrice n'hésite pas à filmer les rêves, et ainsi sublimer ses héroïnes.

Elles apparaissent d'ailleurs comme des déesses, des personnes inaccessibles enfermées dans un monde clos sans issues de secours. En fait, "Virgin suicides" peut être interprété de plusieurs manières, chacun se fait sa propre opinion. Ce ne serait peut-être que le long rêve (limite cauchemar) d'un adolescent… Que l'on ne se méprenne pas sur le sujet car "Virgin suicides", s'il reprend les clichés des films adolescents, est à cent lieues de ce type de film. Il s'agit d'un film fort, qui laisse des traces dans l'esprit et qui peut aider à comprendre un certain malaise.

Kirsten Dunst - La réussite de ce petit bijou, hormis son histoire, tirée du roman de Jeffrey Eugenides, tient également à son casting impeccable. Autour de jeunes acteurs inconnus ou méconnus comme Kirsten Dunst (vue dans "Entretien avec un vampire" ou "Des hommes d'influences"), on retrouve l'impeccable James Wood et surtout l'étonnante et métamorphosée Kathleen Turner, inquiétante en mère puritaine. N'oublions pas de mentionner l'excellente bande musicale composée par les Français du groupe Air. Sofia Coppola signe donc un film dont la maîtrise est indiscutable et réussit d'un coup d'un seul à se faire un prénom aux côtés d'un nom très célèbre.

Mortes et jolies «Virgin Suicides» fait goûter au poison de l'adolescence. Par Philippe Azoury Le mercredi 27 septembre 2000

Vous avancez sous la pluie, arc-bouté; c'est désagréable. Excédé par ce gymkhana de crabe, vous vous redressez malgré tout, digne. Les gouttes ne vous atteignent plus. Tout maintenant s'ordonne en agencement gracieux. Pendant une fraction de seconde, vous ressemblez à l'un des adolescents de Virgin Suicides, un de ces gamins irradiants qui soumettent le monde au rythme de leur élégance. Un film vient de vous réapprendre à marcher dans la rue. C'est la première bonne nouvelle. Un film que la rumeur voudrait suspect, trop mode, presque blond... Beaucoup de fleurs et de bougies parfumées. Mais la rumeur oublie de dire combien les jeunes pousses de Virgin Suicides sont farouchement opposées à l'idée de faner, combien ces fleurs sont d'une beauté vénéneuse. Plus apothicaire du vide américain que véritable sorcière, Sofia Coppola a imaginé son film comme une sorte de pénicilline. La malade, c'est elle. Son mal: l'adolescence. Un film, ça pourrait donc être ça, aussi: un vaccin, un rappel, une riposte. Une fille de 30 ans, une survivante, s'adresse à l'Amérique la plus blanche, la plus croyante, la plus modèle, avec une frustration inquiétante, une fringale de revanche, un entêtement à rouvrir le tombeau des lucioles pour y compter les victimes. En quelque sorte, c'est comme si, en disant «Moteur», elle voyait le poison fleurir. Sade, embastillé, avait écrit cela une fois, dans une lettre à sa femme: «Vous m'avez fait former des fantômes qu'il faudra que je réalise.» Un bruit sourd. Une petite ville du Michigan, entre 1972 et 1976; dans un silence de naphtaline, une fille de 13 ans, tête blonde et nuisette brodée, se suicide. A sa mort, un des gosses présents résumera avec sécheresse: «Death is just a sound.» La mort, ce n'est qu'un bruit sourd. Ce bruit, désormais, ses sœurs vivront avec, le lycée aussi. En mourant, Cecilia les a plongées dans un silence hypocrite et dans une nouvelle logique: il faut réapprendre à marcher, à traverser le préau, à ranger ses affaires sous la croisée des regards. Un défilé d'attitudes se prépare. Les filles commencent seulement à vivre avec pour fardeau l'offrande de leur sœur: elles vivent et à la fois étouffent de se savoir observées. Dans leur tristesse laconique, elles semblent avoir saisi une chose: ceux qui les regardent les poussent vers une perfection impossible, insurmontable, qu'il leur faudra tenir entre les doigts et puis trahir: elles vont se suicider à leur tour, non sans avoir conquis le cœur d'une poignée de puceaux et connu la rencontre, parfaite et éphémère, entre Lux, la plus belle des sœurs Lisbon, et le high school lover le plus cool du monde. Une quadrature du cercle, une quintessence de la grâce dont on ne revient jamais.

Résumer ce film est... suicidaire tant il recèle un mystère insondable, qui semble s'être perdu dans un jeu de regards. Ces filles épiées, élues, séparées du troupeau, condamnées par le Michigan entier à s'expliquer d'un suicide qu'elles n'ont pas encore commis, ne seraient qu'apparitions fantomatiques et séduction vampirique. Dès les premiers plans, tout est d'un calme effrayant, orgie de vert pomme, de beige, de boutons de rose, d'angles droits. La lumière vient de nulle part, illogique, divine, elle frappe des ensembles immobiles, des particules additionnées qui fondent une scène où tout a déjà eu lieu.

Pureté évaporée. On oublie vite que le film est raconté en flash-back. On est intrigué par l'absence de chair, de sang dans les veines. Ces sœurs existent comme lambeaux de mémoire, icônes d'une pureté évaporée, évanouie. Elles vivent sous nos yeux exactement comme si Sofia Coppola les avait rappelées d'outre-tombe, son film se déliant, affecté de ralentissements abyssaux. Ses plans sont des vitraux de notre enfance, des cartes postales pieuses, un tourniquet d'imageries vierges, habitées de personnages qui sont les modèles quasi religieux de l'attitude, de «l'élégance collège», du retour vers l'autel du cool et de l'innocence high school. Jamais dans Virgin Suicides les images ne donnent l'impression de communiquer entre elles, de raccorder. Dans la plus grande beauté, elles se suivent, se toisent, se poussent. Entre chaque plan, elles s'inventent des gouffres pour que se déploie pleinement la «cinégénie» de ces enfants sorcières. Puis coulisse un ciel de traîne où viennent s'accrocher ces petites étoiles comme autant de solitudes.

Virgin Suicides, encore un film mode, léger? Plutôt un défilé de spectres blonds, taillés dans une soie crissante par une styliste qui travaille en totale complicité avec les ténèbres. Haute couture.

«Cet océan de dérisoire...» Sofia Coppola, son enfance, ses frères, son film

Enfant cinéma (premier rôle à 8 mois, en 1970, dans le Parrain), fille d'un ogre barbu, petite (1,55 m), complexée (main devant la bouche) à tort car jolie, un peu gosse de riches mais pardonnée pour son talent. Rencontre avec Sofia Coppola sans son clan (son mari, le réalisateur Spike Jonze, son frère Roman, Daft Punk, Air), dans un palace parisien.

Pourquoi avoir attendu un an et demi pour sortir Virgin Suicides?

Les retards semblent venir des liens entre la Paramount, qui distribue le film aux Etats-Unis, et Pathé en France. Tout semblait long, comme faire revenir le matériel pour mettre les sous-titres. J'étais impatiente, impuissante. J'espérais qu'ils sortiraient le film au printemps, une saison qui lui allait bien. Il sort à l'automne, ce n'est pas mal non plus. Ça en fait un film différent.

Et aux Etats-Unis?

Il est sorti en avril. Très bonnes critiques, petit succès. La distribution était limitée à quelques salles, il était interdit aux moins de 18 ans. Le suicide des adolescents est un sujet dont on préfère éloigner les jeunes. Je regrette que le film n'ait pas été projeté dans les salles où vont les filles de 16 ans. C'est assez troublant de faire un film en pensant à son public et de ne rien contrôler de la deuxième partie du processus.

Avez-vous eu peur que Virgin Suicides soit considéré comme un caprice d'enfant gâtée?

Il n'y a pas eu de campagne contre moi, alors que la presse américaine m'avait assassinée à la sortie du Parrain 3 (elle y jouait le rôle de Mary Corleone, ndlr). Là, ils semblaient bousculés. Une réalisatrice, c'est inhabituel pour eux. Je n'ai pas eu droit aux pierres. La prochaine fois, peut-être... Ils auront peut-être raison, les deuxièmes films sont souvent ratés. C'est ma grande peur du moment. Comment passer directement au troisième film? Peut-être devrais-je faire mon deuxième en vidéo, l'enterrer et tourner le troisième.

Quelle adolescente étiez-vous?

Une peste. J'ai longtemps voyagé avec mes parents, les Philippines pendant quatre ans et le tournage d'Apocalypse Now... Tout s'est arrêté à l'adolescence, pour que je puisse suivre des études normales. Au lycée, tout me semblait gris, ennuyeux. Aujourd'hui, c'est une période qui me passionne, mais la vivre m'était un calvaire. L'endroit où j'habitais n'avait rien de réjouissant et il fallait aller jusqu'à San Francisco pour voir jouer des groupes punk comme les Meat Puppets. J'avais alors tous mes frères, c'est une chose importante pour moi (1). On était très liés. Ils me faisaient écouter des disques. J'adorais les Clash.

L'adolescence, c'est votre mal?

Mon adolescence n'est pas un bon souvenir. Peut-être parce que j'en faisais l'expérience sans en apprécier la valeur, empêtrée dans mes complexes. Je n'étais pas si différente des autres. Mais pas très liante, non plus. Pas à cause de mon nom, plutôt parce que je suis comme ça. Je sais qu'il y a aujourd'hui toute une mode qui sublime l'adolescence. La crise m'intéresse plus, le côté mélancolique. Ce qui m'attire chez les ados, c'est cette façon de tout grossir: quelle robe je vais mettre pour le bal? Cet océan de dérisoire me plaisait. Quand on grandit, on ne se focalise que sur ce qui semble grave. Et les responsabilités m'ennuient

Vous filmez souvent les garçons en groupe et les filles seules.

Il n'y a pas d'individualité forte chez ces adolescents. Ce sont les garçons, uniformément. On ne peut pas zoomer. Du moins, jusqu'à l'arrivée de Trip Fontaine, un gars différent. La façon dont il marche, c'est Jim Morrison sur scène, en même temps pétri de timidité. Pareil pour Lux. C'est la star. Quand vous êtes adolescent, il y a des personnes dont tout le monde parle à l'école. C'est pour courir après eux que j'ai fait Virgin Suicides, pour attraper un peu de cette incandescence. Je voulais comme un collage de photos, une frise. C'est un film au passé. Tout est montré de mémoire. Je voulais que l'on ait l'impression de feuilleter un album intime. C'est peut-être de l'immaturité, mais je n'avais pas fait de film avant, et raccorder les choses dans l'action, découper, passer du plan large au gros plan me semblait insurmontable. Si on me dit que ça donne aux filles un côté intouchable, j'en suis heureuse. Je voulais cette distance. Même si j'ai fait ce film dans une relative inconscience, de façon instinctive.

Avez-vous féminisé le roman de Jeffrey Eugenides?

Il y a quelque chose d'étrange avec son écriture: il adopte le point de vue des garçons, mais il est très juste quant à la psychologie féminine. Son livre est délicat. Il sait l'importance pour une fille de certains détails.

En filmant, vous n'avez pas peur de la frontalité?

J'aime ce côté statique. On le retrouve dans Safe, de Todd Haynes, dont je me sens proche. Ça vient essentiellement de la photographie. Takashi Homma au Japon, Tina Barney aux Etats-Unis sont des photographes qui ont saisi de façon universelle la famille, les filles boudeuses, les banlieues, l'ennui, parfois avec des couleurs de crème glacée. Je reviens souvent à Francis Szabo, son livre Almost Grown sur des adolescents rebelles américains à l'orée des seventies. Suburbia, le livre de Bill Owens, est fondamental pour rejoindre ma perception de l'Amérique. Ces photos étaient importantes pour fournir des indications à l'ensemble de l'équipe. Les images me sont plus faciles que les mots.

La musique d'Air?

Dans un premier temps, il n'y avait qu'un choix de musiques seventies (10 CC, Todd Rundgren). La séparation avec la période devait être induite par une musique qui nous est contemporaine, tout en sachant se souvenir des années 60. Air a travaillé sur le film fini. Je leur avais demandé une grande charge mélancolique. Ils ont su ajouter de l'émotion au film.

On vous imagine davantage liée à la scène musicale, au monde de l'art et de la mode qu'au milieu du cinéma.

Un cinéaste doit être curieux de toute sorte d'images et de sons. Aujourd'hui, la séparation n'a plus lieu d'être. Finalement, je me vois comme quelqu'un qui n'a pas de spécialité. Une généraliste. A l'école, déjà, ni bonne à rien ni mauvaise en tout... A Los Angeles, où je vis, tout le monde est dans l'industrie du cinéma. Pas moi. Je me sens à part. Je ne sais jamais ce que je veux faire. J'ai été actrice à plusieurs reprises dans les films de mon père, mais c'était plus pour m'occuper qu'autre chose. Je n'aimais pas ça, d'ailleurs. Je suis une dilettante.

Votre père a produit le film, que vous a-t-il conseillé?

D'essayer l'improvisation avec mes jeunes acteurs. Et ça marche! De vivre avec eux comme une famille, partir en camping ensemble... Sinon, il est formel: il faut dormir entre deux prises. Et là, franchement, je ne vois pas comment il y arrive.... Recueilli par P.A.

 

The virgin suicides Le film vu par Isabelle Corbisier

Une étrange métaphore, poétique et rêveuse, sur l'affrontement meurtrier entre l'élan de pureté et le désir dans la psyché d'adolescentes... La trame, inspirée d'un roman de Jeffrey Eugenides, peut se résumer d'une seule phrase : dans les années septante, les cinq filles, âgées de 13 à 18 ans, du couple Lisbon, catholiques à la limite de l'hystérie pour elle (Kathleen Turner, méconnaissable et étonnante) et de la démission pour lui (James Woods, émouvant et pathétique), se suicident à peu de temps d'intervalle, la plus jeune, Cecilia (Hannah R. Hall), ouvrant la sarabande, le tout sous le regard impuissant d'adolescents fascinés, l'un d'entre eux faisant office de narrateur.

La lecture la plus "évidente", et que l'on entend au court du film, est évidemment de dire "c'est la faute des parents", surtout la mère, qui après une sortie quelque peu foireuse, n'hésiteront pas à enfermer leurs filles jusqu'au dénouement. Mais la tonalité de ce film, rêveuse, éthérée, mélancolique, nous suggère une réponse plus complexe. Cecilia, "the first to go", apparaît d'emblée comme une sorte de sainte (parmi les autres soeurs, l'une s'appelle Therese, comme la sainte, deux autres se prénomment Mary et "Lumière" - Lux), une héroïne et un modèle tel pour ses autres soeurs (mais PAS pour la mère qui se contente de pleurer son enfant) qu'elles n'osent pas trop l'évoquer mais leur admiration est palpable : Cecilia était la plus jeune et, des cinq soeurs, celle qui aura le moins longtemps accepté les "compromissions" liées à l'accession au statut d'une femme animée de désirs "impurs" car presqu'animaux et suscitant la convoitise des hommes. Lux (Kirsten Dunst), la plus âgée et celle qui se compromettra le plus dans ce monde par trop réel, sera quant à elle la dernière à partir après avoir, d'une certaine manière, "ouvert les portes de l'enfer" aux jeunes adolescents qui les observaient.

Si l'on y réfléchit bien, le film pousse jusqu'à l'extrême la logique d'enfermement qui sous-tend, quoiqu'on en dise, toute éducation féminine. Les jeunes garçons le sentent confusément lorsqu'ils discourent sur le "malheur d'être une fille", tellement radieusement présente mais insaisissable, les filles Lisbon sachant tout d'eux mais eux ne pouvant les atteindre. La femme sur son piédestal éthéré alors que c'est pourtant elle qui est confrontée à la réalité la plus matérialiste qui soit : la maternité. On voit ce film dans une sorte d'étonnement impatient, le rythme étant en effet totalement inattendu au regard du propos soutenu, mais il vous flotte littéralement dans l'esprit ensuite, au son de sa musique mystérieuse qui est d'ailleurs devenue une sorte de "tube" lancinant depuis.

  The Virgin suicides
Jeffrey Eugenides
J'ai lu
Flammarion, 2000

C’est un roman intéressant, mais pas captivant. La cause en revient peut-être à la narration, à la fois indispensable dans son principe et en même temps limitée quant à ses effets. Pour raconter un fait divers et ses répercussions sur le voisinage, il fallait ça, cette voix anonyme, mais pour tracer le portrait de cinq adolescentes et les rendre vivantes, pour leur donner un peu de substance - et d’intérêt -, il fallait autre chose. C’est que le récit est tiraillé entre deux ambitions, celles-là mêmes que nous venons d’esquisser, et qu’il ne peut faire autrement que de sacrifier l’une à l’autre.

Dans un quartier résidentiel et huppé de Grosse-Pointe (Michigan), cinq soeurs, des adolescentes entre 13 et 17 ans, se suicident en l’espace d’une année. Cécilia, la plus jeune, ouvre le bal. Les autres l’imiteront un an après. Entre-temps, les gamins du voisinage auront vécu et souffert avec elles... à distance.  Ce suicide les aura tant marqués qu’une vingtaine d’années plus tard, alors qu’ils frôlent les quarante ans, ceux-ci mèneront une enquête dans l’espoir un peu fou d’éclaircir toute cette affaire. Ce récit en est le résultat, la reconstitution la plus minutieuse et la plus fidèle possible d’une année pour le moins particulière. Tous les témoins, les animés comme les objets les plus dérisoires, sont donc convoqués. Cela nous donne un récit polyphonique où la parole est donnée tant aux voisins qu’aux parents, aux institutions, à tous les acteurs de ce drame, y compris les bâtons de rouge à lèvres, un journal intime, une maison en ruine, n’importe quel bout de moquette ou de cigarette (les pièces à conviction qui parsèment le récit), que les dévots, ces enquêteurs têtus et possédés par leur sujet, ont collectés et répertoriés soigneusement. On est ici plus proche de la quête spirituelle, de l’introspection psychologique,  que de l’enquête policière.

Le récit , comme une Vie des saints, est l’occasion de rendre un culte, de témoigner - contre les  adultes - d’une vérité irréductible et impossible à saisir. Celles des soeurs Lisbon, vestales un peu déplacées à notre époque, et celles de ces ex-adolescents de la bonne bourgeoisie blanche qui se sont payés, le temps d’une année, le luxe de frôler « l’absolu » par procuration. Les soeurs Lisbon, à en croire certains passages, seraient ce qu’ils ont connu de mieux dans leur existence : ces filles qu’ils n’ont pas touchées, à peine connues, les ont marqués au point d’imprégner leur vie sexuelle et sentimentale. Toute fille qui ne sent pas la mort et n’exhale pas un parfum d’absolu est par avance discréditée. Hélas, la société américaine ne fournit plus que des filles en bonne santé, des mères au foyer attentives et responsables. Moins que des êtres de chair et de sang, les soeurs Lisbon sont des icônes. Des stars. Plutôt que de rêver sur David Bowie, Alice Cooper ou Marc Bolan, ces fans des seventies auront fantasmé sur leurs petites voisines, autrement plus trash et plus gore. A la fois réelles, plus proches que ces guignols, et plus lointaines. Gothiques, au sens dix-neuvièmiste du terme, avec ce qu’il contient de romantisme morbide. De la chute de la maison Lisbon à celle de la maison Usher, il n’y a qu’un pas.

C’est en cela, bien entendu, que ce petit roman est intéressant. Pour ce que l ‘événement, le drame de cette famille, nous apprend sur la petite communauté de Grosse-Pointe (Michigan). Ce suicide collectif, c’est l’irruption de la mort et de l’irrationnel dans un monde policé, le « cauchemar climatisé » de Henry Miller, qui méconnaît la souffrance et l’imprévu. Des maux aussi naturels que la maladie et la mort n’ont plus guère droit de cité dans cet univers aseptisé où toute vie se découpe sur le patron d’un mariage ou d’un plan de carrière. La santé et la prospérité sont reines. (Ce qui ne va pas sans nous rappeler Le meilleur des mondes) Toute l’existence de ces individus de la upper middle-class (ils sont tous avocats, banquiers, mafiosi) est aussi bien taillée que leurs haies et aussi proprette que leurs allées et leurs beaux pavillons. Un suicide, qui plus est d’adolescentes, est à même de briser toute cette belle et grande harmonie. Alors pour ne pas voir remettre en cause le cosmos, on cherche et l’on trouve toutes les réponses possibles et imaginables, celles qui - de préférence - permettent de ramener l’événement dans le champ du connu et du connaissable. Si tout cela pouvait être clair, expliqué sans la moindre ambiguïté, la moindre zone d’ombre, ce serait tant mieux. Et ça l’est, les réponses étant fournies d’avance par un argumentaire que la vie ou les intérêts se sont chargés de fournir. La médecine et les analyses sociologiques de comptoir sont mises à contribution. Les filles, toute la famille Lisbon, deviennent les boucs-émissaires pour tout ce qui ne va pas. On en oublie, quand bien même l’événement suscite les pires dérives en matière d’impudeur et de voyeurisme médiatique, les acteurs principaux du drame. Entre le déni et la généralisation, la communauté utilise toutes les défenses possibles. Le suicide est un refoulé qu’il ne faut pas voir resurgir.

Les seuls à ne pas voir les choses de cette manière, ce sont les adolescents, pour qui les filles Lisbon, leur suicide et leur façon de vivre, sont comme la révélation d’un ailleurs. Hélas, le roman peine à nous faire partager cette fascination. Il abonde pourtant de détails sur les soeurs Lisbon , mais cela ne suffit pas à les rendre réelles. Les traits esquissés pour les décrire ramènent celles-ci au rang de stéréotypes : Lux est la débauchée, Bonnie - ou Marie - la coquette, Thérèse l’intellectuelle et Cécilia la mystique. On n’en sait pas plus. Chaque nouveau détail, chacune de leurs apparitions, renforce et enfonce le clou du cliché. En vérité, on ne sort pas des représentations les plus convenues. La matière sur laquelle travaille Jeffrey Eugenides, et l’imaginaire avec lequel il travaille, sont ceux des séries télévisée et d’un certain cinéma pour adolescents. L’auteur critique la société américaine avec la mythologie que celle-ci a élaborée. Cela ne signifie pas qu’il travaille sur cette mythologie et s’emploie à la démystifier, bien au contraire. Celle-ci est une composante intégrale de sa weltanschaung, la même qu’un bon nombre d’américains et d’européens. Le don juan, l’intellectuel, le mafiosi, l’alcoolique, l’athlète de collège, l’exilée nostalgique, toutes ces figures sommaires et mythologiques fournissent le seul personnel d’un roman dont l’univers est plus proche de la banlieue stylisée d’Edward aux mains d’argent, de Tim Burton, que de n’importe quelle réalité sensible. Comme les songwriters américains qui polluent les pages des Inrockuptibles, Jeffrey Eugenides doit croire qu’il suffit de ne pas jouer dans l’équipe de football du lycée et d’être un peu crasseux pour être rebelle. Comme eux, il s’en tient aux représentations et se contente, exercice facile et sans grand danger, de les retourner comme un gant plutôt que d’en faire craquer le vernis ou d’aller voir ailleurs. (Evidemment, on pourra toujours nous dire que c’est le narrateur, « nous », qui est aliéné par cette représentation, pas l’auteur... pas sûr.)

Enfin, il a manqué, tout simplement , son roman. Certaines pages, qui décrivent la dégradation et le foutoir incroyable de la maison Lisbon, laissent deviner ce qu’aurait pu être ce livre si l’auteur avait exploité davantage ses personnages et circonscrit le champ de son récit aux limites étroites de cette demeure. Il y a là un potentiel poétique totalement inexploité, et que les descriptions laborieuses et répétées de la maison ne font que massacrer, alourdissant le récit plutôt que de lui donner le mystère nécessaire. Reconnaissons  -cependant - qu’il y avait une double contrainte : en dire assez et ne pas trop en dire pour préserver l’intérêt, la richesse d’un sujet par-là même difficile, l’adolescence. Au lieu de le prendre de front, Eugenides a préféré biaiser, ce qui - quand on sait y faire - peut se révéler efficace, mais ne révèle  ici que les limites et le peu d’inspiration de l’auteur. Comme qui dirait, il n’ a pas traité le sujet.

Sylvain Bonnafoux